Ceci n’est pas une écriture
Dans mes travaux théoriques récents j’ai formulé une nouvelle définition de l’écriture dont la visée était intentionnellement polémique. J’ai proposé de considérer comme des écritures l’ensemble des techniques d’inscription de discours (en une langue donnée). Il en découle que la catégorie ne se limite plus à ce que l’on considère couramment comme des écritures, c’est-à-dire des techniques de codage intégral, logographique ou phonographique, d’une langue, mais qu’elle comprend aussi de nombreuses techniques, autrefois regroupées dans la classe résiduelle des « proto-écritures », qui transcrivent de manière sélective des discours cibles – ce que j’ai appelé des écritures sélectives, par exemple dans mon livre Inventer l’écriture ou dans cet article. J’avais une bonne raison d’opérer ce coup d’État sémantique : l’analyse pragmatique des écritures sélectives, c’est-à-dire de leur régime d’usage, était extrêmement féconde, permettant en particulier de repenser les conditions institutionnelles de l’invention de l’écriture.
Il ne faut toutefois pas conclure de cette définition – dont l’objectif est de provoquer la réflexion et d’engendrer de nouvelles recherches, non de se pérenniser – que les techniques rangées par les historiens parmi les « proto-écritures » sont toutes des écritures sélectives. Surtout pas. Il existe au contraire de très nombreux systèmes graphiques qui, loin d’être constitutivement attachés à des discours, se contentent de véhiculer des informations non linguistiques. Les signes graphiques de ces systèmes sont souvent beaucoup plus standardisés (du fait de leur autonomie vis-à-vis du discours) et ils peuvent être compris, c’est-à-dire déchiffrés, par des locuteurs de langues différentes dans la mesure où ces locuteurs partagent un même sous-ensemble de représentations culturelles lié aux informations véhiculées. Parmi ces systèmes graphiques standardisés qui ne sont pas des écritures, les chroniques guerrières des Iroquois et des Indiens des Plaines forment, je crois, de bons exemples.
Les chroniques de guerre des Iroquois, dans l’Amérique du Nord des 17e et 18e siècles, étaient gravées sur le casse-tête personnel mais aussi sur certains arbres écorcés situés à proximité du lieu d’un combat, à la vue de tous, devenant ainsi de véritables monuments. Elles employaient des caractères standardisés en nombre limité dont l’inscription obéissait à une syntaxe rigoureuse. Le premier signe était un « autoportrait » désignant le chef de l’expédition guerrière au moyen de la reproduction d’une partie de son tatouage personnel et/ou de l’entité surnaturelle à laquelle il était lié (plus rarement au moyen de son emblème d’appartenance clanique). Suivait une série de figurations schématiques de wampum, des colliers de perles qui symbolisaient chacun une expédition guerrière. Lorsqu’un wampum était représenté transpercé par une flèche, c’est que le chef avait été blessé lors de l’affrontement. Suivaient, sous forme de personnages stylisés, les prisonniers et les tués, avec l’indication de leur sexe. D’autres éléments pouvaient être ajoutés, tels que le nombre de guerriers (une simple série de traits), le contexte géographique (une carte) ou les armes volées aux victimes.
Ces chroniques guerrières utilisaient donc un système graphique extrêmement standardisé, non pas pour inscrire les mots ou les sons d’une langue, mais pour donner à voir un certain nombre d’informations codifiées. De ce fait elles n’étaient pas attachées à un discours à transmettre et à faire mémoriser, et elles ne rentraient pas dans le cadre d’un apprentissage. Gravées sur les arbres, elles pouvaient être « lues » par les ennemis des Iroquois qui ne parlaient pas leur langue, comme les Abénaqui, les Delaware, les Choctaw, les Creek, etc.
Des chroniques guerrières semblables, purs systèmes graphiques standardisés véhiculant des informations codifiées indépendamment d’une langue ou d’un discours donnés, furent également utilisées par les Indiens des Plaines qui les peignaient sur des peaux de bisons avant de les inscrire, au 19e siècle, dans des carnets qu’ils conservaient sur eux. Là aussi, les signes étaient assez uniformément stylisés (chevaux, traces des pas, guerriers représentés avec leurs armes, leurs objets magiques, leurs attributs distinctifs et parfois leur nom propre) et leur inscription obéissait à une syntaxe stable (par exemple l’auteur des signes s’autoreprésentait toujours à droite, ses ennemis se situant à sa gauche). Lorsqu’elles étaient peintes sur des peaux de bison, ces chroniques étaient littéralement vêtues, elles devenaient des robes, l’auteur devenant le monument exhibant ses propres exploits guerriers, comme on accumulerait des tatouages autobiographiques. Tracées dans des cahiers de comptabilité (des ledgers), elles étaient conservées par leur auteur ; aucun témoignage n’indique qu’elles étaient « lues » publiquement, ni qu’elles accompagnaient une transmission orale.
J’ai rassemblé ici un recueil de témoignages historiques qui permet de faire le point sur ces systèmes graphiques amérindiens ; j’ai en particulier sélectionné ceux qui comportaient des données sur leur contexte d’usage. Il peut valoir la peine de préciser que je ne sous-entends pas qu’il existe un rapport historique entre les chroniques des Iroquois et celle des Indiens des Plaines, elles ne font que partager un ensemble de caractéristiques sémiotiques. Remarquer aussi que je prends ici le contrepieds de mes analyses en ce qui concerne les Iroquois (La Croix et les hiéroglyphes, 2009) et de celles de Carlo Severi au sujet des Indiens des Plaines (Le Principe de la chimère, 2004).
Le premier corpus, celui des Iroquois et de leurs ennemis, est échelonné de 1637 à 1824, c’est-à-dire des décennies suivant les tous débuts de la colonisation européenne, période où les Iroquois connurent une expansion militaire inédite due à leur position stratégique entre les Britanniques et les Français d’une part et entre les Européens et les Amérindiens d’autre part, aux décennies suivant l’indépendance des États-Unis, période durant laquelle le potentiel guerrier des Iroquois fut éradiqué. Les témoignages sélectionnés sont dans l’ensemble fiables. Ils proviennent de missionnaires catholiques (Paul Le Jeune, Pierre-Joseph-Marie Chaumonot) ou moraves (Georges Henry Loskiel, John Gottlieb Ernest Heckewelder), d’un coureur des bois (Pierre-Esprit Radisson), de militaires plus ou moins aventuriers (Baron de Lahontan, Adam Hubley), d’administrateurs coloniaux (Antoine-Denis Raudot, Cadwallader Colden), de naturalistes (Marc Catesby, Antoine Simon Le Page Du Pratz), d’un ingénieur (Bernard Romans), d’un antiquaire (William Bray) et d’une captive (Mary Jemison) ; un seul témoignage provient d’un Iroquois, celui de Jacob Jameson. Joseph-François Lafitau, le jésuite figuriste, d’habitude abondamment cité, est absent de cette liste car son matériel provenait entièrement du texte de Chaumonot. Le témoignage de Lahontan doit être lu avec circonspection et il ne faut donner à l’illustration l’accompagnant qu’une valeur anecdotique.
Le second corpus, celui des Indiens des Plaines, s’étend de 1841 à 1910. Beaucoup plus hétérogène, il reflète le contraste entre l’abondance des archives, les réserves des musées possèdent en effet de nombreuses peaux peintes et les bibliothèques d’innombrables ledgers, et la rareté des gloses de qualité. Je n’ai trouvé aucune « lecture » fiable de peau peinte en dehors de celle du Blackfoot Chef Ours en 1896 – encore est-elle rapportée par un journaliste. Quant aux ledgers, contrairement aux comptes d’hivers (winter counts) qui pouvaient être translittérés dans la mesure où ils étaient eux-mêmes rédigés dans une écriture sélective, ils ne furent que rarement glosés. Le premier à avoir été publié (en 1876, dans la presse de l’époque) est celui du Sioux Sitting Bull, mais ni la glose, famélique, ni le dessin n’étaient de sa main. La chronique guerrière du Flathead Ambrose, la plus ancienne que nous connaissons, a été retrouvée par le garde forestier James Keyser ; le jésuite Nicolas Point l’eut sous les yeux au milieu du 19e siècle et il en reproduisit une séquence à sa façon, – la comparaison des deux dessins m’a semblé évocatrice. Le système graphique hidatsa nous est parvenu sans récit particulier, ce qui est regrettable tant il apparaît sémiotiquement proche du système iroquois.
Finalement la chronique du Sioux Swift Dog (également l’auteur de comptes d’hivers), dessinée sur toile et glosée à la demande de la musicologue Frances Densmore, est la seule où chaque dessin est associé à la fois à un récit et à un chant ; pendant un temps j’ai pensé qu’il serait possible d’y voir une forme d’écriture. Cependant le phénomène est tellement pauvre et si totalement exceptionnel dans la littérature que je crois désormais que les chroniques guerrières des Indiens des Plaines ne forment dans leur ensemble qu’un système graphique standardisé indépendant de tout discours figé susceptible d’être mémorisé et répété de manière relativement exacte. Le rapport de ces chroniques avec les « récits de coups » qui relataient les exploits guerriers des Indiens des Plaines était comparable, je pense, à celui qui unissait par exemple les vitraux des églises catholiques à leur exégèse par le clergé, – l’ordre en moins en ce qui concerne les peaux peintes, les pages des ledgers suivant, en général, un ordre chronologique par défaut.
J’ai laissé de côté, pour des raisons de place et de pertinence, un magnifique exemplaire de ledger glosé par son auteur, le Sioux Joseph White Bull (réédité en 1998 sous le titre Lakota Warrior). Son étude montrerait assez précisément tout ce qui sépare une écriture d’un système graphique standardisé – je remercie en passant Raymond DeMallie pour m’avoir fait comprendre ce point. Joseph White Bull fut en effet également l’auteur de comptes d’hivers entièrement translittérés en écriture alphabétique. L’équivalence entre les deux procédés sémiotiques, le compte d’hiver, une écriture sélective, et l’alphabet, une écriture intégrale, apparaît ainsi clairement : le contenu du discours inscrit ne varie pas, dans les deux cas il s’agit d’une longue liste ordonnée de noms d’année (qui, avant l’existence des comptes d’hivers, devait être retenue par cœur par l’un des membres du groupe). Par contraste le ledger de White Bull n’est pas translittéré, il est seulement glosé, c’est-à-dire commenté ou expliqué, à la manière des descriptions de chroniques iroquoises par des observateurs étrangers ; c’est je pense tout simplement parce que cette chronique guerrière ne pouvait pas être translittérée et donc qu’elle n’était pas rédigée au moyen d’une écriture. Quelques mois après avoir écrit ce paragraphe, Raymond DeMallie, encore lui, m’a signalé l’existence de trois autres versions (inédites) de l’autobiographie de White Bull : si les dessins sont dans chaque version à peu près les mêmes, les gloses et commentaires changent considérablement d’un exemplaire à l’autre, preuve qu’il ne s’agit pas de translittération. Les translittérations alphabétiques des comptes d’hivers, quand il en existe plusieurs, ne présentent quant à elles jamais de variations notables – j’y vois une autre conséquence de la différence sémiotique entre chroniques guerrières et comptes d’hivers, les premières étant de simples systèmes graphiques standardisés, les seconds de véritables écritures sélectives.
J’ai traduit tous les textes – sauf celui d’Heckewelder que je donne dans la version du chevalier Du Ponceau.
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1637, Iroquois, chronique guerrière
Sur une planche accrochée à un arbre ébranché, les Iroquois avaient peint les tentes de trente Hurons qu’ils ont pris […] Les divers traits faisaient apparaître l’âge et la qualité des prisonniers comme quelques Sauvages qui se trouvèrent là nous l’expliquaient. Ils avaient figuré deux têtes bien plus grosses que les autres pour représenter deux Capitaines qu’ils tiennent entre leurs mains dont l’un est ce brave Taratoüan dont j’ai parlé ci-dessus ; on y voit aussi la tête de deux enfants et de deux jeunes garçons qu’on amenait au Séminaire. Ils avaient fait des raies en forme de panaches sur les têtes des plus vaillants. Toutes ces têtes étaient griffonnées en rouge, excepté une qui était peinte en noir pour marquer que celui-là avait été tué et que tous les autres étaient comme des victimes destinées au feu […] Nous connûmes par ces marmousets (car les Sauvages ne savent point l’art de peindre) le dégât qu’avaient fait ces infidèles.
Paul Le Jeune, « Relation de ce qui s’est passé en la Nouvelle-France », The Jesuit Relations and Allied Documents (ed) Reuben Gold Thwaites (1896-1900), The Burrows Bothers Company, Volume 12, p. 214-216.
1658, Iroquois, chronique guerrière
Au bout il y avait un arbre laissé sur pied, mais l’écorce avait été enlevée. Dessus étaient peints avec du charbon six hommes pendus, avec leur tête à leurs pieds, coupée. Ils étaient si bien dessinés qu’on voyait que l’un d’eux était un Père par la petitesse de ses cheveux, ce qui nous fit savoir que les Français qui étaient devant nous avaient été exécutés. Un peu plus loin, sur un autre arbre étaient peints deux canots, un avec trois hommes et un autre avec deux, dans lequel un homme était debout, une hache à la main frappant quelqu’un sur la tête. Sur un autre arbre étaient représentés sept canots poursuivant trois ours, et un homme dessiné comme s’il était à terre avec son fusil tirant sur un cerf. Considérant ces choses, elles me troublèrent fort en vérité et firent trembler mon cœur en moi ; surtout quand ceux qui étaient avec moi m’assurèrent de ce dont j’étais trop sûr, me disant que les six Français étaient morts.
Pierre-Esprit Radisson, Les aventures extraordinaires d’un coureur des bois. Récits de voyage au pays des Indiens d’Amérique (1999), Éditions Nota bene, p. 108-109.
1666, Iroquois
Quand ils vont en guerre et qu’ils veulent informer des partis, ceux qui pourraient passer sur leurs routes ; ils dépeignent l’animal de la famille dont ils sont avec une hache qu’il tient de la patte droite, quelquefois un sabre ou un casse-tête, et s’ils sont plusieurs familles ensemble du même parti, chacun dépeint l’animal de sa famille et le nombre qu’ils sont ; le tout sur un arbre dont ils lèvent l’écorce. C’est l’animal de la famille qui est maîtresse du parti qui est toujours le premier […].
Lorsqu’ils reviennent, s’ils ont des Prisonniers ou des chevelures, ils dépeignent l’animal de la famille dont ils sont debout avec un bâton sur l’épaule, le long duquel sont pendues les chevelures qu’ils ont et en même nombre ; ensuite de l’animal, ce sont les Esclaves qu’ils ont fait avec un chichicois à la main droite. S’il y a des femmes, ils la dépeignent avec une cadenet ou Couëtte et un Braguet. Si dans le parti de guerre ils sont plusieurs familles, chacun peint l’animal de sa famille avec les chevelures et prisonniers qu’ils ont fait comme ci-devant mais toujours après celui qui est maître du parti […].
Lorsqu’ils ont perdu du monde sur le champ de Bataille, ils peignent des hommes les jambes en l’air et sans tête et en même nombre qu’ils ont perdu et pour savoir de quelle famille ils étaient, ils peignent l’animal de la famille des défunts sur le dos les pattes en l’air. Si c’est le chef du parti qui est mort, l’animal n’a point de tête. S’il n’y a que des blessés ils dépeignent un fusil cassé qui cependant tient à la monture ou bien une flèche, et pour faire voir où ils ont été blessés, ils dépeignent l’animal de la famille dont sont les blessés avec une flèche qui passe dans l’endroit de la blessure et si c’est d’un coup de fusil, ils font la marque de la balle sur le corps de l’Animal avec de la couleur différente. S’ils ont des malades et qu’ils sont obligés de les porter, ils dépeignent des Boyards en même nombre des malades parce qu’ils n’en portent qu’un sur chaque boyard […].
Y. Façon de peindre les morts ; les deux premiers sont deux hommes, et le troisième c’est une femme qui n’est distinguée que par un Braguet qu’elle a. Pour ce qui est des morts, ils les enterrent avec tout ce qu’ils ont. Quand c’est un homme, ils peignent sur le tombeau des calumets rouges, des calumets de paix. Quelquefois ils y plantent un poteau où est peint combien de fois il a été en guerre, combien il a pris de prisonniers. Le poteau n’a ordinairement que 4 ou 5 pieds et est bien mataché.
Le portrait d’un sauvage qu’ils peignent ordinairement sur une planche dans leurs cabanes. Combien il a été en guerre, combien il a pris et tué d’homme.
a . Ce sont les piqûres qu’il a sur le corps. b . Voilà comme ils marquent quand ils ont été en guerre et lorsqu’il y a une barre qui pend d’une marque à l’autre, cela signifie qu’après avoir été en guerre, qu’il n’est pas revenu jusqu’à son village et qu’il est retourné avec quelques partis qu’il a rencontrés ou faits. c. Cette flèche qui est rompue fait voir que dans ce parti-là, ils furent blessés. d. Voilà comme ils marquent quand les colliers qui ont été donnés pour lever un parti de guerre et venger la mort de quelqu’un leur appartenaient ou à quelqu’un de la même famille. e. Il est retourné en guerre sans avoir entré dans le village. f. Un homme qu’il a tué sur le champ de bataille qui avait un arc et des flèches. g. Ce sont deux hommes qu’il a pris prisonnier dont l’un avait une hache à la main et l’autre un fusil. gg. C’est une femme qui n’est distinguée que par une espèce de braguet. h. C’est ce qu’ils font pour la distinguer d’avec les hommes.
Pierre-Joseph-Marie Chaumonot, « Mémoire concernant la nation iroquoise » (1996), Recherches amérindiennes au Québec 26-2, p. 5-10. Voir aussi Scott Meachum, « Markes Upon Their Clubhamers : Interpreting Pictography on Eastern War Clubs » (2007), Three Centuries of Woodlands Indian Art (eds) J.C.H King & Christian F. Feest, ZKF Publishers ; Neal B. Keating, Iroquois art, power, and history (2012), University of Oklahoma Press.
1702, Iroquois, chronique guerrière
Lors qu’un parti de Sauvages a fait quelque coup sur les ennemis, en quelque endroit que ce puisse être, les vainqueurs ont le soin de peler des arbres jusqu’à cinq ou six pieds de hauteur, à tous les endroits où ils s’arrêtent en s’en retournant à leur Pays ; ensuite à l’honneur de leur Victoire ils y peignent certaines images avec du charbon pilé, et broyé dans la graisse ou dans l’huile. Ces marques que vous verrez dépeintes et expliquées au chapitre suivant, demeurent comme gravées sur cet arbre dépouillé de son écorce, quelquefois dix ou douze ans sans que la pluie les puisse effacer.
Ils font ceci pour faire connaître aux allants et aux venants l’exploit qu’ils ont fait […].
Explication des Hiéroglyphes ici dépeints vis-à-vis des Lettres ABCDEFGHIK. Placées à côté de la Colonne qui représente le pied d’un arbre supposé.
À prendre le mot de Hiéroglyphe en sa signification naturelle, c’est uniquement la représentation des objets Sacrés et Divins, que nos idées se forment ; cependant sans avoir égard à l’origine de ce mot Grec, me servant du privilège d’une infinité d’Auteurs, j’appellerai symboles Hiéroglyphes tout ce qui est dépeint à côté des Lettres suivantes.
A. Vis-à-vis de cette Lettre vous voyez les Armes de France, et une hache au-dessus. Or la hache est le symbole de la guerre parmi les Sauvages, comme le Calumet est celui de la Paix ; ainsi cela signifie que les Français ont levé la hache, c’est-à-dire qu’ils ont été à la guerre au nombre d’autant de dizaines d’hommes que vous voyez de marques aux environs, lesquelles étant au nombre de dix-huit font cent quatre-vingts guerriers Français. B. Vis-à-vis de cette Lettre vous voyez une montagne qui représente la ville de Montréal (selon les Sauvages) et l’Oiseau partant du sommet signifie le départ. Cette Lune sur le dos du cerf signifie le temps du premier quartier de celle de Juillet, appelée la Lune au Cerf. C. Vis-à-vis de cette Lettre vous découvrez un Canot, qui signifie qu’on a voyagé par eau autant de journées que vous y voyez de Cabanes ; c’est-à-dire vingt et un jours. D. Vis-à-vis de cette Lettre vous découvrez un pied, qui signifie qu’on a marché ensuite autant de jours que vous y voyez de Cabanes ; c’est-à-dire sept journées de guerriers, chacune valant cinq lieues communes de France, ou de vingt au degré. E. À côté de cette Lettre vous voyez une main et trois Cabanes, qui signifient qu’on est approché jusqu’à trois journées du Village des Iroquois Tsonontouans, dont les armes sont la Cabane, avec les deux arbres penchés que vous découvrez. Ensuite ce Soleil marque que c’est justement à l’Orient de ce Village qu’on a été. Car il faut remarquer que si l’on eût marché à l’Occident, les armes de ces Sauvages seraient placées à l’endroit où est la main, et la main serait tournée et placée à l’endroit où sont lesdites armes d’une Cabane et deux arbres. F. À côté de cette Lettre vous voyez douze marques, qui signifient douze dizaines d’hommes, comme à la Lettre A. La Cabane avec ces deux arbres étant les armes des Tsonontouans, signifient que ce sont des gens de cette Nation ; et l’homme qui paraît couché marque qu’ils ont été surpris. G. Vous voyez à côté de cette Lettre une Massue et onze têtes, ce qui signifie qu’on a tué onze Tsonontouans, et les cinq hommes debout sur cinq marques, signifient autant de dizaines de prisonniers de guerre qu’on amène. H. À côté de cette Lettre vous voyez dans un Arc neuf têtes, c’est-à-dire que neuf des agresseurs ou du parti vainqueur, que j’ai supposé être Français, ont été tués, et les douze marques qui paraissent en dessous, signifient un tel nombre de blessés. I. À côté de cette Lettre vous voyez des flèches décochées en l’air, les unes deçà les autres delà, qui signifient une bonne défense, ou une résistance vigoureuse de part et d’autre. K. Vous voyez les flèches filant toutes d’un même côté ; supposé que les vaincus l’ont été en fuyant, ou en se battant en retraite, en confusion et en désordre.
Tout ceci réduit en quatre mots, veut dire que 180 François étant partis de Montréal au premier quartier de la Lune de Juillet, naviguèrent vingt et un jours : ensuite après avoir fait trente-cinq lieues à pied ils surprirent 120 Tsonontouans à l’Orient de leur Village, d’entre lesquels onze d’eux perdirent la vie et cinquante furent pris, avec perte de la part des Français de neuf hommes et de douze blessés, le combat ayant été fort opiniâtre.
Nous conclurons de là vous et mois, que nous devons bien rendre grâce à Dieu de nous avoir donné les moyens d’exprimer nos pensées et nos sentiments par le simple arrangement de vingt-trois Lettres, surtout de pouvoir écrire en moins d’une minute un discours dont les Américains ne sauraient donner l’intelligence dans une heure avec leurs impertinents Hiéroglyphes ; le nombre qu’ils en ont, quoi qu’assez médiocre, est capable d’embarrasser extrêmement l’esprit d’un Européen, ce qui fait que je me suis contenté d’apprendre les plus essentiels plutôt par nécessité que par curiosité. Je pourrais vous en envoyer d’autres aussi extravagants que celui-ci, mais comme ils ne vous seraient d’aucune utilité, je m’épargnerai la peine de les tracer sur le papier, en vous épargnant le temps de les examiner.
Baron de Lahontan, « Des armoiries de quelques nations sauvages », Œuvres complètes (1990), Presses de l’Université de Montréal, Tome 1, p. 728-732. Voir aussi Haijo J. Westra, « A New Version of Lahontan’s Hieroglyphic Message » (1993), European Review of Native American Studies 7-1.
1709, Iroquois, chronique guerrière
Ils font aussi les casse-tête dont ils se servent pour aller à la guerre. Ce casse-tête qui a la figure d’une mâchoire est fait d’un bois dur et pesant et a une masse ou une boule au bout ; ils mettent dessus leur divinité, la marque de leur nom, qui est un castor, une loutre, ou quelqu’autre animal ou oiseau ; ils y dépeignent aussi leur figure, le nombre des hommes qu’ils ont tués et des prisonniers qu’ils ont faits et laissent par gloire de pareils casse-têtes dans les lieux où ils ont fait quelque expédition, afin que leurs ennemis sachent qui les a tués et de quelle nation ils sont.
Antoine-Denis Raudot, Relation par lettres de l’Amérique septentrionale, années 1709 et 1710 (1904), Letouzey et Ané, p. 76-77.
1727, Iroquois, chronique guerrière
Ils pèlent toujours un grand morceau d’écorce sur quelque arbre remarquable ; ils choisissent habituellement un érable qu’ils savent durable. Sur la surface lisse de ce bois, ils dessinent, avec de la peinture rouge, un ou plusieurs canots partant de leur château, comprenant le nombre d’hommes qui participent à l’expédition. Quelque animal, par exemple un chevreuil ou un renard, un emblème de la nation contre laquelle l’expédition est lancée, est peint à la proue des canots ; car ils voyagent toujours en canot le long des rivières qui mènent au pays contre lequel l’expédition est lancée, le plus loin possible.
Lorsque l’expédition est terminée, ils s’arrêtent au même endroit à leur retour et envoient à leurs amis restés au château la nouvelle de leur arrivée afin qu’ils se préparent à leur offrir une réception solennelle qui convienne au succès qu’ils ont rencontré. Pendant ce temps, il représente sur le même arbre, ou sur un autre à proximité, le résultat de leur entreprise et maintenant les canots sont peints la proue tournée vers le château ; le nombre d’ennemis tués est représenté par des scalps peints en noir et le nombre de prisonniers par autant de cordes (qui ressemblent dans leurs peintures à des crochets) grâce auxquels ils entravent les bras de leurs captifs. Ces arbres sont les annales ou plutôt les trophées des Cinq Nations : j’en ai vu beaucoup ; et c’est par leur moyen, et par celui de leurs chants de guerre, qu’ils préservent l’histoire de leurs grands accomplissements.
Cadwallader Colden, The history of the five Indian nations of Canada (1922), Allerton Book Co, Volume 1, p. xxv-xxvi.
1743, Choctaw, chronique guerrière
Dans leurs expéditions militaires, chaque parti se sert de certains hiéroglyphes, pour informer les autres de ses succès, ou de ses pertes ; et cela se fait avec la dernière exactitude par des marques, et des caractères qu’ils laissent dans les forêts, et à l’aide desquels ils ne sont jamais embarrassés pour s’entendre les uns les autres.
Marc Catesby, Histoire naturelle de la Caroline, de la Floride et des îles de Bahama (1754), C. Marsch et T. Wilcox, Tome 2, p. xiii.
1758, Choctaw, chronique guerrière
La déclaration de Guerre dont j’ai parlé n’est que le prélude de ce qu’elle annonce par le Tableau qu’ils laissent près du Village qu’ils ont attaqué ; voici de quelle manière est fait ce Tableau. Tout au haut du Tableau à droite est le signe hiéroglyphique qui désigne la Nation qui déclare la guerre, ensuite un homme nu facile à reconnaître, lequel a un casse-tête en main ; suit une flèche disposée comme pour aller percer une femme qui fuit les cheveux épars et flottant en l’air ; immédiatement devant cette femme est le signe propre de la Nation à laquelle on déclare la Guerre ; tout ceci est sur une même ligne, et la vérité est peinte sur cet endroit du Tableau ; ce qui est au dessous n’est pas si certain, aussi n’y compte-t-on pas beaucoup. Cette ligne commence par la figure d’une Lune qui doit suivre dans peu ; les jours qui viennent après sont des I, et la Lune par une face sans rayons : on voit un homme qui a devant lui beaucoup de flèches qui semblent aller frapper une femme qui fuit ; tout cela annonce que quand une telle Lune aura tant de jours, ils viendront en grand nombre attaquer une telle Nation.
Antoine Simon Le Page Du Pratz, Histoire de la Louisiane (1775), De Bure, la Veuve Delaguette et Lambert, Tome 3, p. 432-433.
1775, Choctaw, Creek, chronique guerrière
Pour donner une idée de ce que sont les peintures hiéroglyphiques des Indiens, j’ai joint ci-dessous les deux gravures suivantes ; la première est Chactaw et signifie qu’une expédition de soixante-dix hommes, dirigée par sept grands guerriers et huit autres de rang inférieur, a en une seule fois tué neuf de leurs ennemis dont ils ont pris les scalps, et que l’endroit où ceci fut inscrit était le premier endroit public de leur territoire où ils sont arrivés avec ces scalps.
La seconde est une peinture dans le goût Creek, elle signifie que dix de cette Nation, de la famille du Cerf, se sont rendus dans trois canoës à l’intérieur du pays de leurs ennemis, que six de ce parti, à l’endroit nommé Oopah Ullah, un ruisseau sur le chemin menant aux Chactaws, ont rencontré deux hommes et deux femmes avec un chien, qu’ils les ont pris en embuscade et tués, et que tous revinrent chez eux munis des quatre scalps ; le scalp au pied du cerf attribue l’honneur de cette action à la famille entière.
Bernard Romans, A Concise Natural History of East and West Florida (1776), R. Aitken, p. 102.
1779, Thayondenegon, Iroquois, chronique guerrière
Aujourd’hui, au cours de notre marche, nous avons rencontrés plusieurs arbres sur lesquels les sauvages conduits par Brand et les Buttlers avaient récemment gravé les caractères suivants.
Explication des inscriptions sur les arbres
1. Un Indien. [Traits horizontaux parallèles] Combien de fois cette Nation est partie en guerre, chaque barre cochée ainsi [Trait horizontal barré] représente leur perte de l’année, s’il en était ainsi [Trait horizontal barré plusieurs fois] leur perte d’homme compterait autant de barres. [Figures humanoïdes stylisées, avec ou sans tête, portant une arme stylisée] Combien de scalps d’hommes blancs armés ils détiennent. [Figures humanoïdes stylisées avec ou sans tête] Autochtones scalpés qui ne possédaient pas d’arme. [Rectangle] représente également le nombre de fois qu’ils sont partis en guerre.
2. Arbrisseau dont le faîte est enroulé autour du tronc signifiant qu’ils furent forts et unis.
Adam Hubley, « Adam Hubley, Jr., Lt. Col. Comdt. 11th Penna. Regt., His Journal, Commencing at Wyoming, July 30th, 1779 » (1909), Pennsylvania Magazine of History and Biography 33-3, p. 293.
1781, Wingenund, Delaware, chronique guerrière
Il dit avoir trouvé ces inscriptions sur un arbre d’une des rives de la rivière Muskingham ; qu’il ne se souvient pas précisément de quelle espèce d’arbre il s’agissait, mais qu’il pense que c’était un érable ; que l’écorce était pelée sur une surface d’un pied par un pied sur un des côtés de l’arbre et que les caractères y étaient peints avec du charbon et de la graisse d’ours ; que le noir est la couleur qui signifie la colère ou la guerre ; qu’il n’y a rien de très sophistiqué dans leurs peintures, le bout de leur doigt, ou la pointe d’un bâton brûlé, étant l’unique pinceau qu’ils sachent utiliser ; qu’il s’agissait des exploits martiaux de Wingenund, un guerrier indien de la Nation Delaware, et qu’ils lui furent interprétés par White-eyes, un chef Delaware, de la manière suivante.
La figure N°1 est l’imitation d’une torture de rivière, l’emblème ou l’insigne qui distingue sa tribu. N°2 est sa marque ou son caractère personnel. Les Indiens en choisissent une au cours de leur jeunesse et la conservent sans altérations toute leur vie. N°3 signifie le soleil. Les dix traits horizontaux en dessous montre le nombre de fois où il est allé à la guerre, c’est-à-dire le nombre d’expédition dont il a fait parti. Ils ne pensent pas en termes de campagnes comme les Européens. Les figures sous la tortue montrent le nombre de scalps et de prisonniers saisis à divers moments, parmi lesquelles les N°4 sont des scalps d’hommes. N°5 des scalps de femmes. N°6 des prisonniers. N°7 des prisonnières. Le nombre de scalps ou de prisonniers saisi à chaque expédition est disposé en face du trait idoine. La première fois qu’il est parti à la guerre, il est revenu bredouille ; la seconde fois, il prit le scalp d’un homme ; la troisième fois, il prit les scalps d’un homme et d’une femme, ainsi qu’une prisonnière. La figure sous la torture, N°8, représente un fort dont il a participé à la prise ; il pense que c’était un des petits forts du lac Erie qui fut attaqué par surprise par les Indiens en 1762. Le fort N°9 représente Fort Détroit qui fut assiégé par les Indiens en 1762 sous le commandement du fameux Pontiac et vaillamment défendu par le major Gladwin. Le N°11 est le Fort Pitt, avec le village, N°10, et les rivières Moningalialy et Alligany, assiégé par les Indiens à peu près au même moment. L’espace entre le sixième et septième trait signifie qu’il n’est pas allé à la guerre pendant un moment. Les vingt-trois traits en bas montrent le nombre de guerriers qui l’accompagnaient lorsqu’il a fait ces inscriptions guerrières ; leur inclinaison à gauche, dos au soleil, indique qu’ils se dirigeaient vers le nord.
Il dit que les marques qu’ils faisaient à leur retour étaient généralement en vermillon, une couleur pacifique indiquant que leur colère est passée. C’est alors qu’ils disposent les scalps et les prisonniers à l’arrière de leurs hommes, de cette manière [Figures humanoïdes stylisées], et s’ils étaient partis durant deux lunes et demie, ils mettraient deux ronds noirs ou rouges à droite des prisonniers, et un demi rond pour la demie lune. Ils indiqueraient leurs pertes en faisant des traits horizontaux entre les prisonniers et les lunes, de cette manière [Figures humanoïdes stylisées et lunes].
Les Delawares se répartissent en trois tribus, les tribus de la tortue, du loup et de l’aigle. Chacune utilise son propre insigne et ce serait un crime impardonnable pour une tribu que de faire usage de l’insigne d’une autre. Chaque nation a une manière légèrement distincte de décrire ses exploits guerriers.
William Bray, « Observations on the Indian method of Picture-Writing by William Bray, Esq. In a Letter to the Secretary » (1782), Archaeologia 6, p. 159-162.
1794, Ohio, chronique guerrière
Leurs hiéroglyphes sont des figures caractéristiques qui sont plus fréquemment peintes sur les arbres que gravées sur la pierre. Elles servent à avertir d’un danger, à signaler un endroit sûr, à indiquer le chemin, à noter une transaction remarquable, ou à commémorer les faits et gestes de célèbres héros ; elles leur sont aussi intelligibles que l’écriture l’est pour nous. A cette fin, ils choisissent généralement un grand arbre, perché sur un sommet, et après avoir écorcé un côté de l’arbre, ils frottent le bois jusqu’à ce qu’il devienne blanc et propre. Ils peignent ensuite en rouge la figure du héros dont ils vont célébrer les exploits, muni de ses armoiries, et à ses pieds le nombre d’hommes décapités ou désarmés de son propre fait. Ces dessins peuvent demeurer plus de cinquante ans et c’est une grande consolation pour le guerrier mourant de savoir que la mémoire de ses exploits sera préservée si longtemps, pour l’admiration et l’imitation de sa postérité. Comme tous les Indiens en comprennent le sens, le voyageur ne peut guère agréer plus aux sentiments de ses guides indiens qu’en s’arrêtant pour examiner les monuments de ce genre puis en écoutant patiemment le récit extravagant des prouesses de leurs guerriers. Les guerriers peignent parfois leurs propres hauts faits et aventures ; par exemple, le nombre de prisonniers et de scalps pris ; le nombre d’hommes qu’ils avaient sous leur commandement et le nombre de ceux qui sont tombés.
Georges Henry Loskiel, History of the mission of the United Brethren among the Indians in North America (1794), Brethren’s Society for the furtherance of the Gospel, p. 25.
1818, Ohio, chronique guerrière
Les Indiens ne possèdent pas, ainsi que nous, l’art d’écrire ; ils n’ont ni alphabets, ni aucune manière de représenter à l’œil le son des mots ; cependant ils ont des hiéroglyphes particuliers, au moyen desquels ils désignent des faits si clairement que ceux qui en ont l’habitude, peuvent les comprendre aussi aisément que nous lisons ce qui est écrit. Par exemple, ils donneront sur un arbre, dont ils auront à dessein enlevé l’écorce et qui se trouvera sur le bord d’un chemin, toutes les informations nécessaires à ceux qui passeront par le même endroit. C’est ainsi qu’ils leur feront connaître qu’ils étaient un parti de guerriers composé de tant d’hommes, venant de tel endroit, appartenant à telle nation, et de telle tribu ; combien de personnes de chaque tribu se trouvaient dans le parti, à quelle tribu appartient le chef, l’endroit vers lequel ils se dirigent pour aller combattre l’ennemi, depuis combien de jours ils sont partis, ou bien qu’ils sont en route pour s’en retourner ; combien ils ont tué d’ennemis, la quantité de chevelure qu’ils ont enlevées ; s’ils ont perdu quelques uns de leurs gens et combien, quelle espèce d’ennemis ils ont eu à combattre, quel était leur nombre, de quelle nation ou tribu était leur chef, etc. Et ils comprennent parfaitement tout cela au premier coup d’œil. Ils décrivent une chasse de la même manière, et toutes les nations indiennes peuvent le faire, et quoiqu’elles n’aient pas toutes les mêmes signes, j’ai vu, cependant, des Delawares lire aisément les hiéroglyphes des Chippeways, des Mingoués, des Shawanos et des Wyandots sur de semblables sujets.
John Gottlieb Ernest Heckewelder, Histoire, mœurs et coutumes des Nations indiennes qui habitaient autrefois la Pennsylvanie et les États voisins (1822), L. de Bure, p. 192-193.
1821, Iroquois, chronique guerrière
Lorsqu’un parti de guerre revient à son village, ils peignent sur un morceau d’écorce une Maison, c’est-à-dire le signe des Six Nations, et ils figurent en dessous des corps sans tête, c’est-à-dire le nombre de personnes qu’ils ont tuées ; si des prisonniers ont été faits, ils sont représentés avec leur tête.
Jacob Jameson, « Answers to Governor Cass’s Questions by Jacob Jameson, a Seneca [ca. 1821-1825] » (1969), Ethnohistory 16-2, p. 134.
1824, Hiokatoo, Iroquois, chronique guerrière
Afin de commémorer certains grands événements et de préserver leur chronologie, le Chef de guerre de chaque tribu conserve un poteau de guerre. Ce poteau est un morceau de bois écorcé, de 10 ou 12 pieds de haut, érigé dans le village. Pour chaque campagne, ils inscrivent, ou du moins le Chef inscrit, une marque rouge perpendiculaire, de trois pouces de long et d’un demi-pouce de large [Figure de croix] ; en face, ils font pour un scalp une croix rouge, ; de l’autre côté, pour un prisonnier pris en vie, ils font une croix rouge de cette manière, [Figure humanoïde stylisée], avec une tête ou un point, et en disposant ces hiéroglyphes signifiants en un endroit si remarquable, ils sont en mesure d’établir avec une grande certitude la date et les circonstances des événements du passé.
Hiokatoo avait un tel poteau de guerre sur lequel il notait ses exploits militaires et d’autres choses qu’il jugeait dignes d’être préservées.
James Seaver, A narrative of the life of Mrs. Mary Jemison who was taken by the Indians (1824), Canandaigua, p. 176-177.
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1841-1847, Shilchelumela (Cinq Corbeaux, Ambrose), Flathead, chronique guerrière
Fait d’arme d’Ambrose dans une bataille qui a duré cinq jours.
Les Pieds Noirs étaient cinq cents loges en nombre contre cent loges de Têtes Plates et de Kalispels. Quatre-vingt Pieds Noirs sont restés sur le champ de bataille. Le petit camp ne perdit qu’un seul homme. Il vécut jusqu’à ce qu’il avait reçu le baptême. Au fort de la bataille, Ambrose cassa son arc. Il vit un Pied Noir à pieds et l’appela dans sa langue de monter après lui à cheval. Le Pied Noir le prit pour un guerrier de sa nation et monta. Il plaça son fusil sur l’épaule d’Ambrose. Ambrose saisit le fusil avec une main forte et dit à son ennemi « Regarde dans ma figure, je suis Tête Plate ». Le Pied Noir épouvanté tomba du cheval et Ambrose le tua avec le fusil qu’il venait de lui arracher.
1. Loges Têtes Plates. 2. Chemin ou course. 3. Ambrose. 4. Pied Noir ennemi.
Pierre-Jean De Smet, cité dans James D. Keyser, The Five Crows Ledger. Biographic Warrior Art of the Flathead Indians (2000), University of Utah Press, p. 30, p. 36.
1841-1847, Nicolas Point, Societatis Jesu, chronique guerrière
Ambrose dans la même journée désarmant un Pied Noir, cassant son arc au moment où un autre Pied Noir prend la fuite et poursuivant seul cinq fuyards jusque dans la rivière.
Nicolas Point, cité dans James D. Keyser, The Five Crows Ledger. Biographic Warrior Art of the Flathead Indians (2000), University of Utah Press, p. 22.
1870, He Topa (Quatre Cornes), Lakota, chronique guerrière
Sitting Bull, avec son frère derrière lui, tue un homme blanc, un soldat.
Source écrite : James C. Kimball cité dans W. Fletcher Johnston, The Red Record of the Sioux. Life of Sitting Bull and History of the Indian War (1891), Edgewood Publishing Co, p. 22.
Source dessinée : Four Horns copy of Sitting Bull and Jumping Bull pictographic autobiographies, 1870, Manuscript 1929-a, National Anthropological Archives, Smithsonian Institution. Voir aussi Ronald T. McCoy, « Four Horns : A Hunkpapa Lakota Warrior-Artist Commemorates His Relatives’ Valor » (2014), American Indian Art Magazine 39-2, et Ronald T. McCoy, « Sitting Bull, A Hunkpapa Lakota Warrior Chronicles His Life of Dauntless Courage » (2014), American Indian Art Magazine 40-1.
1876, He Topa (Quatre Cornes), Lakota, chronique guerrière
Parmi les nombreux sinistres souvenirs conservés à l’Army Medical Museum de cette ville, on trouve l’autobiographie de Sitting Bull, exécutée dans le style le plus noble de l’art sauvage des histoires en images et racontant, en cinquante-cinq dessins ou croquis, l’histoire de sa vie jusqu’en 1870. Chaque figure est grossièrement tracée à l’encre, les hommes, chevaux et autres objets étant représentés comme un enfant l’eut fait. De nombreuses figures sont partiellement couvertes de rouge et de bleu, comme si Sitting Bull s’était, à un moment ou à un autre, trouvé en possession d’un des crayons bleus et rouges si omniprésents dans nos salles de rédaction. Le sang et les blessures sont indiqués par une tache rouge d’où jaillissent des éclaboussures. Le bleu sert généralement à colorier les pantalons des hommes blancs. Chaque image est faite sur une feuille de papier de huit par dix pouces et est collée dans un cahier vierge, à la manière des albums de coupures de journaux. Par transparence, on se rend compte que les feuilles proviennent des pages vierges de la liste des effectifs du trente-et-unième régiment de l’Infanterie des Etats-Unis, sous le commandement du colonel de Trobiand. Les feuilles tombèrent probablement entre les mains de Sitting Bull lors de l’évacuation d’un camp ou, plus vraisemblablement, furent volées au cours d’une visite à nos avant-postes. Sitting Bull confit à la postérité le récit de ses hauts faits sans aucune modestie. Qu’il s’agisse du scalp d’un soldat au cours d’une bataille ou du vol en catimini d’une mule, il vante de manière égale ses prouesses dans cette singulière autobiographie.
New York Herald, 6 juillet 1876.
La gravure ci-dessus est le N°11 d’une série de cinquante-cinq. Le croquis a été sélectionné dans la mesure où on peut le considérer comme le plus représentatif de l’ensemble et comme la meilleure illustration de l’histoire que Sitting Bull raconte à sa façon grossière et primitive. On voit son autographe au coin supérieur droit ; il s’agit clairement d’un bison assis. En tant que guerrier, Sitting Bull apparaît sous la forme usuelle des Indiens, montant son cheval, avec, dans le cas présent, son frère assis derrière lui, tandis qu’il attaque et tue un soldat blanc. Dans cette image curieuse, le soldat se reconnaît à son pantalon bleu, et le fait qu’il s’agit d’un homme blanc est indiqué par son chapeau haut de forme. Le bouclier de Sitting Bull pends au flanc de son cheval et est estamper d’un aigle qu’il invoque comme sa « médecine » ou son patron et qui lui porte chance.
New York Herald, 9 juillet 1876.
1881, Hidatsa, chronique guerrière
Les Hidatsa, Mandan et Arikara utilisent des marques similaires pour signifier leurs exploits. Les Hidatsa disent être à l’origine de ce dispositif. Les caractères suivants sont inscrits sur les robes et les couvertures, généralement en bleu ou en rouge, et aussi parfois sur les rames des embarcations. Souvent, les Indiens se les peignent sur les cuisses lors des fêtes et des danses […].
La figure 572a signifie, chez les Hidatsa et les Mandans, que son porteur fut le premier à atteindre un ennemi avec le bâton à coup. Elle signifie seulement chez les Arikara que son porteur a tué un ennemi. La figure 572b représente, chez les Hidatsa et les Mandans, la deuxième personne à atteindre un ennemi. Chez les Arikara, elle représente la première personne à l’avoir touché. La figure 572c désigne la troisième personne qui a atteint l’ennemi, selon les Hidatsa et les Mandans ; la deuxième personne selon les Arikara. La figure 572d montre, chez les Hidatsa et les Mandans, la quatrième personne qui a touché l’ennemi. C’est la dernière personne comptée : la cinquième personne est considérée comme courageuse pour avoir osé s’approcher des ennemis, mais cela ne lui donne pas le droit de porter une marque. La même marque représente chez les Arikara la troisième personne à avoir atteint l’ennemi. La figure 572e, selon les Arikara, représente la quatrième personne à toucher l’ennemi. Selon les Hidatsa, le porteur de la marque f a dépeint quatre rencontres : les marques des deux espaces latéraux indiquent qu’il fut le second à frapper un ennemi et les marques du haut et du bas signifie qu’il fut le troisième au cours de deux autres occasions.
Albert Hoffman, cité dans Garrick Mallery, Picture-Writing of the American Indians (1893), Bureau of American Ethnology, Tenth annual report, Washington, p. 437-439.
1896, Chef Ours, Blackfeet, chronique guerrière
En 1896, lorsque la Sportsmen’s Association organisa une exposition au Madison Square Garden (New York), le rédacteur en chef du magasine Forest and Stream invita Bear Chief, sa femme, White Antelope Woman, et leur fille, Natoye, à s’exhiber dans un faux camp indien. Un des objets exposés était une robe en peau de bison couverte de peintures figurant des exploits guerriers. Un journaliste indiqua : « La face tannée de cette peau est remplie d’un grand nombre d’images grossières en rouge, bleu, vert et jaune. Ces images ressemblent fort aux hiéroglyphes des Egyptiens et pour à scène figurée correspond le récit d’un des faits de la vie de Bear Chief ou de celle de l’un de ses comparses, Double Runner ».
A la demande des journalistes, la robe fut apportée à la salle de presse où l’on demanda à Bear Chief d’expliquer la signification des figures. Selon un journaliste :
Bear Chief commença son récit en montrant du doigt l’image de trois personnes endormies. « Ce fut mon premier sentier de guerre, dit-il. J’avais dix-sept ans, je suis parti à la guerre. Nous tuâmes ces trois Assiniboines pendant la nuit et je capturai un cheval ».
« La saison suivante, j’ai affronté les Sioux, poursuivit-il en indiquant un autre dessin. Ici, c’est moi. J’avais décidé de réussir un coup ou de mourir, mais je n’eus pas de chance. Les Sioux me firent prisonnier. J’avais tiré sur un homme mais je l’avais manqué, et maintenant il voulait me tuer. Ils m’emmenèrent au tipi de Sitting Bull et c’est lui qui me rendit ma liberté. Il dit : « Tu pars sain et sauf car je combats les Blancs et je veux que tu me dises à ton peuple de me rejoindre » ».
« Une autre fois, j’ai affronté les Sioux Yanktonais, continua Bear Chief. Notre parti rencontra des Sioux montés pour se battre. L’un des guerriers semblait être l’homme le plus courageux. Je le tuai. J’étais heureux. »
« Une autre saison, j’ai affronté les Crees. Je n’ai pas fait grand chose : j’ai simplement tué un ennemi en tirant en pleine tête ».
« Une autre fois, un parti sous mon commandement prit par surprise un campement de Sioux. Nous tuâmes six hommes et capturâmes trente-sept chevaux ».
« Une autre saison, je suis parti à la guerre. Je trouvai un village Cree : les gens avaient peur, ils avaient attaché leurs chevaux près des portes de leurs loges. Je capturais un cheval quand un homme sortit. Je le tuai immédiatement ».
« Une autre fois, je trouvai un autre village où les chevaux étaient attachés. Je pris un bon cheval et essayais de m’enfuir silencieusement, mais le chef m’entendit. Il sortit en courant, m’attrapa par les cheveux et tenta de me faire tomber du cheval. Je sortis mon pistolet et lui tirait dans le cœur. En partant, je criais : « Vous autres Sioux êtes vraiment mauvais ! Nous autres Blackfeet sommes toujours meilleurs que vous ! ». Je ne pensais qu’ils me comprendraient, mais je criais tout de même».
« Une autre saison, j’ai affronté les Crows. Un homme s’enfuit : je le poursuivis à cheval et le tuai à coups de flèches ».
« Une autre fois, je suis parti au sud, au pays des Gros Ventre, et nous avons rencontré un de leurs partis venu nous combattre. J’ai poursuivi un homme mais il était couard et ne voulait pas se battre, et je ne pouvais pas lui tirer dessus. J’accélérai, grimpai sur son cheval et le tuai, lui et sa femme ».
À ce moment, un journaliste demanda à Bear Chief combien d’autres coups il allait raconter. Bear Chief fut offensé par cette interruption et demeura silencieux. L’interprète parvint tout de même à lui faire dire qu’il avait tué vingt-et-un hommes à la guerre. Ensuite, il refusa de parler ; il n’avait pas raconté la moitié des récits inscrits sur la robe.
L. James Dempsey, Blackfoot War Art. Pictographs of the Reservation Period, 1880-2000 (2007), University of Oklahoma Press, p. 92-94.
1910, Sunka Luzahan (Chien Rapide), Lakota, chronique guerrière
Swift Dog a représenté la première rencontre au cours de laquelle il a tué un homme. Il avait alors vingt-quatre ans et était déjà parti plusieurs fois à la guerre. Cette expédition se déroulait en pays Assiniboine et l’homme qu’il tua appartenait à cette tribu. En décrivant cet événement, il dit que l’ennemi était à pieds tandis que lui était à cheval, en terrain élevé.
Amis / Le cœur de personne d’autre / C’est mon propre cœur / Moi, moi-même / Je demande
Tandis que Swift Dog poursuivait les Assiniboines, ceux-ci couraient et se cachèrent dans la maison d’un homme blanc. Ceux qui s’approchaient de la fenêtre de la maison essuyaient les tirs des Sioux. Il vola alors l’un des chevaux des Assiniboines et s’enfuit. Il prit un cheval blanc avec une selle. Il dit qu’il avait un arc et des flèches et qu’il tirait aussi rapidement qu’il pouvait mais qu’il ne savait pas s’il avait touché quelqu’un.
Je cherche le cheval / Quand j’agis ainsi
Il frappa un jeune homme avec un bâton à coups et lui déroba son carquois. C’était un beau jeune homme. Après lui, deux autres frappèrent le jeune homme et il fut tué par le dernier qui l’atteignit.
La peinture noire du visage / Et une plume, je cherche / C’est pourquoi j’ai agis ainsi
« Une fois, j’ai frappé un Assiniboine avec l’épée que m’avait donné un soldat. Le nom de l’homme était Short Bull. Il est toujours vivant bien que je lui ai fait une affreuse blessure, sur la tempe ».
Pourquoi es-tu venu par ici ? / Je suis venu et tu as pleuré
Il poursuivit de nombreux Crows mais ils parvinrent à s’enfuir.
Il y a longtemps / J’aurais agis ainsi / Seulement deux autres fois / J’ai frappé / Entends-tu maintenant ?
Animaux tués par Swift Dog au cours d’une chasse.
Ø
« L’hiver était presque arrivé lorsque nous sommes allées en pays Crow. Il faisait très froid mais la rivière n’avait pas encore gelé. Nous fîmes un enclos près de la rivière ; puis nous sautâmes dans l’eau et nageâmes jusqu’à la rive où campaient les Crows. Le bruit de l’eau ressemblait à celui de grandes cascades pendant que nous nagions. Nous conduisîmes tous les chevaux des Crows dans la rivière et les fîmes nager jusqu’à l’autre rive. Nous les mîmes ensuite dans l’enclos jusqu’à ce que nous soyons prêts à repartir chez nous ».
Ennemis Crows / Je suis venu prendre vos chevaux / Je veux les posséder / Alors je suis venu les prendre
Son beau-frère et lui sont allés chercher des chevaux et en ont volé trois.
Deux partis de guerre / J’avance seul / Moi, moi-même / Mon désir était de capturer des chevaux / J’avance avec
« Quand les rails sont passés pour la première fois à travers les Black Hills, nous sommes partis sur le sentier de guerre, jusqu’au bout de la voie. Nous sommes allés jusqu’à la rivière Shell. Je ne me souviens plus de la tribu que nous avons attaquée mais je pense que c’étaient les Omahas ». Swift Dog captura un cheval qu’il donna à sa sœur.
Sœur aînée / Viens dehors / J’apporte un cheval / Viens dehors / Tu peux l’avoir
Frances Densmore, « Teton Sioux Music » (1918), Bulletin of the Bureau of American Ethnology 61, p. 403-411. Voir aussi Ronald T. McCoy, « Swift Dog : Hunkpapa Warrior, Artist and Historian » (1994), American Indian Art Magazine 19-3.
(Complété le 7 novembre 2014)