15. Final
Je reviens enfin, comme promis, à la Leçon d’écriture. J’en propose une ultime relecture, cette fois-ci plus hypothétique. Voici donc, à nouveau, le passage décrivant le chef nambikwara Júlio imitant Lévi-Strauss au cours de leurs entretiens.
Seul, sans doute, [le chef Júlio] avait compris la fonction de l’écriture. Aussi m’a-t-il réclamé un bloc-notes et nous sommes pareillement équipés quand nous travaillons ensemble. Il ne me communique pas verbalement les informations que je lui demande, mais trace sur son papier des lignes sinueuses et me les présente, comme si je devais lire sa réponse. Lui-même est à moitié dupe de sa comédie ; chaque fois que sa main achève une ligne, il l’examine anxieusement comme si la signification devait en jaillir, et la même désillusion se peint sur son visage. Mais il n’en convient pas ; et il est tacitement entendu entre nous que son grimoire possède un sens que je feins de déchiffrer ; le commentaire verbal suit presque aussitôt et me dispense de réclamer les éclaircissements nécessaires.
Quelle était la teneur de ces « commentaires verbaux » ? Il faut d’abord rappeler que Lévi-Strauss parlait très mal la langue des Nambikwara, surtout en ce mois de juillet 1938. Il venait alors tout juste de les rencontrer.
II faut préciser la façon dont ces textes, et ceux qui suivent, ont été obtenus. Nous n’avons eu le secours d’aucun interprète. À l’époque de notre séjour, il n’en existait d’ailleurs qu’un, indien Nambikwara éduqué loin des siens par les Pères jésuites, et que nous n’avons malheureusement pu employer. Les indigènes en contact avec les postes de la ligne télégraphique utilisent, dans leurs relations avec les employés Paressi ou brésiliens, une sorte de « sabirs » formé d’environ quarante mots, pour partie indigènes et pour partie portugais. Cette langue franque, accompagnée de nombreux gestes, a servi d’introduction.
Au bout de trois mois environ [c’est-à-dire vers septembre 1938], nous étions parvenus à une connaissance grossièrement empirique du nambikwara proprement dit, nous permettant de nous faire comprendre des indigènes, et de suivre approximativement une conversation. Ce résultat n’aurait pu être atteint sans l’inlassable bonne volonté des informateurs, toujours prêts à échanger des mots (nambikwara contre français ou portugais) et à développer les points obscurs par l’usage d’une mimique appropriée. Travaillant avec ces moyens de fortune, nous avons, soit noté au passage des fragments de conversation qui ne nous étaient pas adressés, soit recueilli des informations sous la dictée. Dans les deux cas, l’interprétation du texte était reprise, par la suite, avec des informateurs.
Il va de soi qu’un sens établi de façon aussi superficielle n’est pas à l’abri d’inexactitudes qui peuvent être parfois grossières. Nous ne les publions pas pour leur signification littérale, souvent sujette à caution, mais plutôt à cause de l’impression fruste de la vie et de l’atmosphère indigènes qu’ils aident, tout de même, à reconstituer.
Dont acte.